Le télétravail est aujourd’hui une réalité : il concerne 14 millions de personnes en Europe alors qu’il ne représentait que 4,5 millions de salariés en 2002. Cette forme nouvelle de relation au travail s’est développée au fur et à mesure de l’avancée des nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) mais aussi en fonction de l’évolution du marché du travail avec la nécessaire flexibilité de l’emploi.
L’accord national interprofessionnel et l’arrêté du 30 mai 2006 constituent un cadre juridique qui permet désormais d’institutionnaliser et de développer le télétravail en France lequel représenterait 7 % de la population active française contre près de 25 % aux Etats-Unis. La moitié des télétravailleurs seraient des cadres et un tiers exerceraient une profession intermédiaire : services aux entreprises, banques et assurances. Le type de télétravail le plus répandu en France est le travail nomade (20 %) qui associe un poste physique au sein de l’entreprise avec un travail extérieur : commerciaux, agents techniques d’intervention.
Télétravail : phénomène diversifié
Le télétravail ou travail à distance signifie une organisation décentralisée des tâches grâce notamment à la télématique et prend plusieurs formes : travail de proximité ou à distance, nomade ou en alternance avec des bases juridiques très variables dans le cadre d’un contrat ou d’une relation d’emploi effectué de façon régulière hors des locaux de l’employeur. Le fait de travailler à l’extérieur de l’entreprise ne confère pas cependant la qualité de télétravailleur.
La situation des Etats-Unis, notamment sur la base des contrats signés par les agences fédérales, est un exemple, à la croisée des différents intérêts économiques et personnels. Le télétravail y est ainsi considéré comme un « outil de base de gestion des ressources humaines » et on estime que d’ici 2009, 1 employé sur 4 sera un télétravailleur dans le monde.
La revue Futuribles note que 40 % des personnes en activité dans l’Union européenne seraient favorables à cette pratique. Mais elle avance que les dirigeants européens considèrent que le télétravail bénéficie plus aux employés qu’aux employeurs alors que certains relèvent la plus grande précarité induite par la flexibilité : « Malgré les avantages liés à la flexibilité du travail (conciliation entre la vie professionnelle et privée, maintien des emplois et des compétences, utilisation optimale des capacités de production (…) de plus en plus de voix s’élèvent contre ces emplois dits flexibles qui infligent toute une série de pénalités aux collaborateurs, qui cassent les solidarités existantes sur les lieux de travail, qui atomisent et isolent les salariés, qui réduisent les investissements dans la formation continue et le perfectionnement du personnel, qui limitent l’accès à des postes de responsabilité ou de direction, qui engendrent du stress, et qui maintiennent les employés dans des conditions précaires » (Le télétravail en perspective, Futuribles, Mars 2006, p. 59-77).
L’accord européen sur le télétravail et l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005
Les partenaires sociaux européens ont présenté le 11 octobre 2006 au Commissaire européen chargé de l’emploi, des affaires sociales et de l’égalité des chances le premier rapport concernant l’accord cadre sur le télétravail signé le 16 juillet 2002. Cet accord fixait un cadre général destiné à faciliter le télétravail dans les entreprises et à garantir aux télétravailleurs le respect de leurs droits. Il a été mis en oeuvre par la quasi totalité des 25 Etats membres à l’exception de Chypre, de la Slovaquie, de l’Estonie, de la Lituanie, de l’Islande et de la Norvège et transposé de façon très différente dans chacun des états membres. Le rapport souligne la richesse des initiatives mais aussi la nécessité de clarifications et un réexamen dans le cadre du programme de travail 2006-2008 des partenaires sociaux européens.
En France, cet accord s’est traduit par des conventions collectives nationales et sectorielles élaborées par les partenaires sociaux français, syndicats et patronat. La définition du télétravail, son caractère volontaire, les principes relatifs au respect de la vie privée, à la santé et à la sécurité, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux droits collectifs du télétravailleur sont clairement établis. Sans pour autant créer un régime juridique spécifique applicable à ce type d’emploi, l’accord clarifie le statut du télétravailleur :
– Volontariat et réversibilité : le télétravail repose sur le volontariat : le recours à cette forme de contrat suppose ainsi l’accord de l’employeur et du salarié. Le refus du salarié ne justifie pas une rupture du contrat de travail, son acceptation nécessite un délai de prévenance avec réintégration possible.
– Egalité de traitement : les télétravailleurs bénéficient des mêmes droits que les autres salariés, que ce soit dans les relations collectives ou individuelles de travail.
– Obligations de l’employeur : l’employeur doit respecter la réglementation en matière de temps de travail, notamment en s’assurant de la fiabilité du système de décompte des heures supplémentaires mais aussi de certaines obligations comme la fourniture des équipements de travail, le respect de la vie privée et la protection des données.
Les obstacles au développement du télétravail
Les conclusions du rapport du député Pierre Morel-a-l’Huissier soulignent les entraves au développement du télétravail en France, notramment les problèmes de mentalité ou d’organisation du travail : « Le télétravail suppose d’avoir confiance en ses salariés et d’apprendre à les gérer à distance (…) en France (…) on pense que, de chez soi, on travaille forcément moins et mal » (Du télétravail au travail mobile : un enjeu de modernisation de l’économie française, Pierre Morel-a-Lhuissier, Paris, Premier ministre, 2006).
A l’exemple des entreprises anglo-saxonnes qui proposent travail à domicile ou sur « sites de proximité » (sites choisis grâce à un mapping des adresses des salariés chez IBM), le télétravail doit être développé, notamment dans les secteurs de travail des handicapés et des services aux entreprises. Des guides de bonne pratique, une campagne de communication doivent être prochainement lancés.
Cependant, il faut souligner les difficultés rencontrées qui peuvent soit être liées à l’utilisation des NTIC soit à ce nouveau type de contrat, la notion de mobilité étant souvent révisée en jurisprudence. Les comportements à risque des télétravailleurs sont étudiés par Cisco : 15 % des usagers français interrogés déclarent ouvrir des messages inconnus, 30 % utilisent leur ordinateur professionnel à des fins personnelles et 39 % se connectent via une connexion WiFi d’un voisin. Les Français commanderaient en ligne pour 29 % contre 41% en Allemagne et jusqu’à 53 % en Angleterre. Les ordinateurs seraient utilisés par une tierce personne pour 21 % en France et jusqu’à 42 % en Chine. Aux Etats-Unis, « Le comportement de 11 télétravailleurs dans une entreprise de 100 personnes peut mettre le réseau en panne ou entraîner le vol de données professionnelles et personnelles (…) Pour les grandes entreprises (…) pour celles dont le personnel est réparti au niveau mondial et de culture différentes, le risque est encore plus élevé » (Enquête Télétravail et sécurité, CiscoMAG, 26/10/2006 ). Les équipes informatiques doivent ainsi être plus proactives dans la protection de l’entreprise et développer un rôle plus stratégique.
Avantages et évolutions du télétravail
Les prérequis doivent être la grande capacité d’autonomie du salarié auquel on propose le télétravail mais aussi un nécessaire accompagnement de cette forme de travail ainsi qu’une configuration spécifique des conditions d’exercice du travail. L’encadrement doit être ainsi restructuré et fonctionner en termes de confiance.
Le télétravail est une organisation du travail à fort potentiel, notamment en matière de développement durable : il permet de réduire la facture énergétique en réduisant les déplacements et les dépenses immobilières. C’est aussi un facteur de réduction du nombre d’accidents de travail et d’absentéisme. En outre, le principe d’autonomie qui régit ce type de travail permet d’offrir un plus grand nombre d’emplois aux travailleurs handicapés, avec une diminution du coût d’aménagement du poste de travail. Le rôle des dirigeants d’entreprise et des responsables informatiques est ainsi destiné à évoluer : « Les travailleurs influeront de plus en plus sur la définition de leur environnement de travail (…) Les dirigeants et les responsables informatiques peuvent essayer de contrôler les utilisateurs ou même de réprimer cette tendance, en vain. Les dirigeants ont l’opportunité de comprendre cette tendance et de garder une longueur d’avance sur elle afin de pouvoir utiliser au mieux le talent des personnes qu’ils recrutent. Quant aux responsables informatiques, ils peuvent transformer leur rôle de « prestataires de technologie » à celui de conseiller de confiance auprès des utilisateurs. »